A la question « pourquoi écrivez-vous ? », l'écrivain américain James Salter répond : « Parce que tout ça va disparaître. La seule chose qui restera ce sera la prose et les poèmes, les livres, ce qui est écrit, couché sur le papier. L'homme a la chance d'avoir inventé le livre, sans ça, le passé disparaîtrait complètement, et nous serions laissés sans rien, nous serions nus sur la terre. »
extrait de « Répliques », émission d'Alain Finkielkraut du 23 septembre 2013, consacrée à James Salter.
« Le rouleau dans lequel tu as lu à haute voix aux oreilles du peuple –prends-le dans ta main et viens. Barouk le fils de Néria prit donc le rouleau dans sa main et vint chez eux. Alors ils lui dirent : 'Assieds-toi, s'il te plaît, et lis-le à haute voix à nos oreilles'. »
Jérémie, 36.
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• dimanche 10 août, à 20h45
Ronsard, CHOIX DE POEMES, lecture par Thomas Sacksick.
Admiré au 16ème, relégué à l'âge classique, à peine consulté au 18ème, et redécouvert par Sainte-Beuve et les Romantiques, Ronsard a gagné son pari : malgré "la pluie et l'innombrable suite des années", malgré l'évolution de la langue, sa poésie arrive vaillante et fraîche jusqu'à nous. Elle nous parle comme écrite d'hier. Pour preuve: aux deux extrémités du 20ème siècle, elle inspira Charles Péguy et Georges Brassens1 …
Le mot de Stendhal, qui ne trouvait chez Ronsard pas trace de « bégueulerie », reste décidément bien trouvé –il faut l'entendre largement. Ronsard se meut dans le naturel (il serait bien probable que Molière eût trouvé chez lui son alexandrin2 ). Le ton est toujours juste et vigoureux. Quand il est sentimental, il n'est pas mièvre, quand il précieux, il n'est pas vain, quand il est érotique, il n'est pas graveleux, et quand il est grave, il n'est ni emphatique ni guindé, mais ample. Et jamais il n'est creux !
Ne cessant de remettre son ouvrage sur le métier, Ronsard se comparait à un ouvrier. Sa poésie fut mûrement réfléchie, mesurée à l'aulne des Anciens (qu'on ignore trop aujourd'hui) et des Italiens qui le précédaient. À condition de ne pas être trop pressé, l'oeuvre de Ronsard porte en elle sa récompense. Et comme à d'autres de conséquence, on pourrait lui appliquer ces vers du poète persan, Farîd od-dîn 'Attâr :
« Mon œuvre porte en elle une vertu étrange.
C'est que plus tu la lis, plus elle est généreuse,
Plus tu pourras la lire, sans cesse y revenir,
Et plus à chaque fois tu goûteras ses mérites. »
Un dernier mot. Il ne saurait être question, bien sûr, de reconstitution de l’ancienne prononciation –reconstitution souvent grotesque. On se permettra plutôt de la moderniser, comme fit Georges Pompidou dans son Anthologie.¨
En 2008, THOMAS SACKSICK renoue avec sa prime enfance en faisant, avec son épouse Marion Rochmann, l'acquisition d'une petite maison dans le vieux Asnelles curieusement appelée 'Douce souvenance' (hommage à Chateaubriand3?). Cette remémoration et une belle grange attenante –aujourd'hui confortablement aménagée-, lui rappellent sa vocation première d'acteur, et lui suggèrent la création de ces Soirées Littéraires d'Asnelles qui, depuis l'été 2010, présentent régulièrement lectures et conférences.
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1 Pour Péguy, rapprochez par exemple La tapisserie de Notre-Dame avec Le Voyage en Touraine de Ronsard. Pour Brassens, voyez Les Trompettes de la renommée, La supplique pour être enterré sur la plage de Sète.
2 Il faudrait comparer l'ouverture de Sganarelle ou le cocu imaginaire au poème à Pierre L'escot.
3 Le dernier Abencérage : « Combien j'ai douce souvenance / Du joli lieu de ma naissance… »
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• lundi 11 août, à 20h45
Jules Verne, H.G. Wells, AUX ORIGINES DE LA SCIENCE-FICTION, conférence de Bernard Loing.
Jules Verne, H.G. Wells, « aux origines de la Science-Fiction », ou comment l’on passe, de l’un à l’autre de ces pères fondateurs, d’une science ancienne à une science nouvelle, d’un visionnaire de l’espace et des horizons clos, à un narrateur du temps et de l’univers infini.
J'évoquerai les origines de ce genre relativement récent et toujours foisonnant, considéré souvent par les universitaires comme pseudo-littéraire, et qui est pourtant une étape essentielle de la modernité en littérature.
Avec la science-fiction qui date de la fin du 19ème, même si on peut toujours évoquer des ancêtres plus lointains; apparaît une nouvelle façon de se projeter dans l'imaginaire. L'esprit d'émerveillement, « the spirit of wonder » cher à Coleridge et aux Romantiques anglais renaît sous une forme nouvelle, s'incarne dans le nouvel univers de l'industrie et des machines : celui des grandes inventions, des grands systèmes, des grands réseaux d'un monde qui va se clore et s'ouvrir au cosmos.
Verne et Wells ont connu à leur époque un fabuleux succès, qui ne se dément pas aujourd'hui.
Ces grands raconteurs arrivent au moment où tout le monde, ou presque, commence à savoir lire et ou les lecteurs deviennent innombrables. Ils ont besoin d'histoires, de récits, de poésie et de rêves pour échapper à un monde trop dur, comme l'enfant de la guerre que j'étais et qui découvrit son Jules Verne et son Wells dans les années 40, où ils devinrent un peu mes maîtres à penser.
Bernard Loing.
Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, Professeur des Universités en langue et littérature anglaises, BERNARD LOING est un des rares spécialistes de la Science Fiction. Dans sa thèse de doctorat d'Etat –H.G. Wells à l'œuvre 1894-1900- en particulier, il analyse en détail à partir des manuscrits, le cheminement de l'imagination de l'auteur et de son écriture narrative dans deux œuvres fondatrices du domaine: La Machine à explorer le temps et l'Île du Docteur Moreau.
Passionné de science et de technique, il a associé à sa carrière universitaire classique celle d'un haut responsable des Postes et Télécommunications françaises, en tant que Directeur de Cabinet du Ministre et chargé des affaires internationales de 1981 à 1986. Nommé Recteur du CNED, il est devenu l'un des principaux experts français des technologies éducatives au moment de l'arrivée du Minitel, d'Internet et de la téléphonie mobile.
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• mardi 12 août, à 20h45 Honoré de Balzac, ILLUSIONS PERDUES, lecture par Thomas Sacksick.
« Là vous ne trouvez que jeunesse et foi, que misère gaiement supportée, quoique cependant les visages ardents et graves, sombres et inquiets n'y manquent pas. », Illusions perdues, Balzac.
Plus qu'un roman des mœurs de la vie littéraire des années 1820-1830, Illusions perdues est un roman sur l'écriture, toute l'écriture. Celles des écrivains (œuvre personnelle, de commande ou de convenance) ; mais aussi l'imprimerie (artisanale et industrielle), le papier, l'affiche, l'édition, la diffusion du livre (libraires et bouquinistes), son oralité (dans les salons ou les théâtres), le journal, le journalisme et ses coteries…
Plus qu'aucun autre, Balzac en a tout connu ; aucune contingence ne lui a été épargnée, lui qui fut imprimeur, rédacteur de romans à deux sous, nègre, directeur de revue, promoteur de sa propre œuvre… Il ne dut La Comédie Humaine qu'à une inconcevable détermination, et à une force de travail sans égal –Balzac a produit 95 romans en une vingtaine d'années !
J'ai choisi ici de faire entendre quelques extraits de la seconde partie de ce roman, « Un grand homme de province à Paris » (titre grandiloquent ou ironique ?), où l'on voit Lucien de Rubempré, tout jeune homme qui n'est pas encore grand homme, livré à lui-même dans un Paris dont il ignore tout –comme Balzac à dix-neuf ans, logeant rue Lesdiguières-, en quête de fraternité et d'affirmation.
« On se cogne dans le réel, et c'est à ça qu'on le reconnaît » a dit un psychanalyste. Lucien de Rubempré (qui n'est pas le Frédéric Moreau de Flaubert) a du talent, une vocation –ce n'est pas pour lui simplifier la tâche-, mais aux heurts des rencontres comme dans l'amitié, son Idéal est mis à l'épreuve. La vérité de Lucien, que ses proches ont reconnue, et pour laquelle ils se sont dévoués, est-elle si bien fondée qu'ils ont cru ?
Non. Et Lucien est un Pinocchio qui ne sera pas sauvé.
Balzac, qui fut l'homme obstiné qu'on sait, a su se rappeler l'inconstance et la fragilité de ses jeunes années –qui brûlaient encore l'homme mûr- pour donner forme à ce Lucien auquel nous ne pouvons qu'accorder notre sympathie.
Adèle van Reet note avec raison qu'« Illusions perdues » veut autant dire « désenchantement » qu' « accès à la sagesse » ; entre les deux, Balzac ne semble pas prendre parti…
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• mercredi 13 août, à 20h45
Victor Hugo, LES BATEAUX DE VICTOR HUGO, conférence de Gérard Pouchain.
Dans l'abondante production picturale de Victor Hugo, les marines occupent une place privilégiée. Celui qui s'est qualifié d' « homme océan » n'a cessé de peindre la mer, presque toujours en furie, avec des bateaux fantômes soulevés par la tempête, perdus dans la brume ou fracassés contre les rochers. L'un de ses dessins les plus connus - Ma destinée - représente un navire porté par une gigantesque déferlante.
L'évocation de l'intérêt tout particulier que Victor Hugo porta aux bateaux se limitera à ceux qu'il a pu voir lors de ses voyages avec Juliette Drouet et pendant son exil anglo-normand.
Les nombreuses illustrations signées du poète donneront encore plus de crédit à l'affirmation d'un historien d'art pour qui les dessins de Victor Hugo « comptent parmi les oeuvres les plus rares et les plus belles qu'ait jamais enfantées l'imagination d'un voyant ».
GERARD POUCHAIN, agrégé de Lettres Modernes, chercheur associé à l'Université de Rouen, est spécialiste de la vie et de l'œuvre de Victor Hugo. Ces dernières années, il a rassemblé une collection de caricatures évoquant la vie politique et littéraire de Victor Hugo. Cette collection qui ne cesse de circuler à travers le monde, a donné matière à un bel ouvrage exhaustif publié l'hiver passé aux Editions de l'Amateur.
Gérard Pouchain travaille au sein d'une équipe universitaire à l'édition intégrale des lettres de Juliette Drouet : plus de 20 000 de ces lettres seront lisibles sur le site de l'Université de Rouen.
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• jeudi 14 août, à 20h45
Charlotte Delbo, AUSCHWITZ ET APRES, lecture par Marion Rochmann.
Comme pour l'accréditer absolument, Charlotte Delbo est toujours présentée à ceux qui ne la connaissent pas, comme ayant été secrétaire de Louis Jouvet. Certes l'égide de ce grand comédien est prestigieuse, et il ne faut pas minorer l'intuition de Jouvet qui sut déceler une personne de talent en la toute jeune fille venue l'interviewer pour un journal de seconde importance, mais –et c'est éclatant dans cette trilogie Auschwitz et après-, l'écriture même de Charlotte Delbo mériterait de l'émanciper de cette illustre tutelle et lui conférer d'emblée la qualité d'auteur à part entière.
En parlant de Primo Levi, dont Charlotte Delbo est un alter ego, on ne s'avise qu'en second lieu, après avoir cité Si c'est un homme, de préciser sa profession de chimiste. Mais telles sont les bizarreries de la postérité…
Lors de nos premières lectures, une asnelloise qui avait en son temps eu à souffrir des persécutions confessionnelles qu'on sait, s'était offusquée que nous programmions côte à côte un roman de Marivaux et le Journal d'Hélène Berr : à son sens, il y avait confusion des genres. La fiction et le témoignage historique –ce dernier étant redevable du plus grand respect.
On ne discute pas, bien sûr, la révérence que l'on doit à ces témoignages –on se plaît même à la proclamer ; mais, si certains font date, c'est qu'ils sont à distinguer d'autres par la qualité qui en émane. Qualité qui est due à la justesse de leur expression, et, disons-le, aux moyens littéraires qu'ils mettent en œuvre –tout autant qu'un auteur de fiction qui viendrait nous raconter de douces histoires sucrées. C'est parce que ces moyens-là, les ressources de l'écriture, « le style » et ses figures, sont déployés à propos, que nous lisons, nous qui ne sommes pas historiens, ces écrits historiques : ces témoignages entrent dans le champ de la littérature.
Charlotte Delbo est de ces auteurs qui inventent leur écriture, et passent la ligne ; comme la correspondance –privée- de Madame de Sévigné, comme certains mémorialistes du Grand Siècle, comme Michelet avec sa Révolution Française, comme Van Gogh, Evguénia Guinzbourg…
Chemin faisant, n'oublions pas notre asnelloise –qui se reconnaîtra. Après discussion, elle en est convenue, et depuis, je crois pouvoir dire qu'elle est une amie attentionnée de Littérature à Voix Haute.
Au demeurant, le travail de Marguerite Duras dictant L'Amant à Yann Andréa était-il si différent de celui de Charlotte Delbo ?
MARION ROCHMANN, parallèlement à sa formation juridique, a fréquenté le cours Florent et le Charpentier Art Studio. En rencontrant Thomas Sacksick, elle a interprété le rôle de Popova dans L'Ours de Tchekhov, et celui de Bélise dans la pièce de Garcia Lorca Les Amours de Don Perlimplin et de Bélise en leur jardin, toutes deux mises en scène par Gilles Sacksick.
Marion Rochmann, qui nous fera entendre de larges extraits de Auschwitz et après, reçoit Littérature à Voix Haute dans sa maison d'Asnelles.
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• vendredi 15 août, à 20h45
Georges Perec, LA VIE MODE D'EMPLOI, lecture par Thomas Sacksick.
« […] à Rio, à La Haye, à Athènes, à Alger, à Naples, à Crémone, à Zürich, à Bruxelles, qu'avait-il fait ? Dans le monde entier, quelle image laisserait-il ? », Georges Perec, Le Condottiere.
« […] Andrée aura gardé ces pages, quelque chose de moi, ce qui m'est le plus précieux, car maintenant je ne tiens plus à rien d'autre qui soit matériel ; ce qu'il faut sauvegarder, c'est son âme et sa mémoire. »
Hélène Berr, Journal.
La Vie mode d'emploi raconte, sur un peu plus d'un siècle, l'existence des habitants d'un immeuble parisien.
C'est un roman en forme de puzzle où chaque pièce serait l'histoire de l'un des occupants, –et où chaque pièce fait écho à une autre pièce, à une autre histoire.
Comme en son temps Jacques Le Fataliste, La Vie mode d'emploi est le roman total, le roman de tous les romans. Aussi encyclopédique et virtuose que Diderot, Perec rêve d'un roman-monument où seraient fixées jusqu'aux actions les moins insignes de chacun ; non pour qu'elles soient jugées, mais pour sauver leurs auteurs du néant.
On comprend alors que Perec aime tout de l'écriture –jusqu'à la plus utilitaire, et en apparence la moins poétique. Du gros titre de magazine aux jeux de mots de l'Almanach Vermot (il ose « Adolf Hitler, fourreur »), de la signalétique (« é pericoloso sporgersi »), aux modes d'emploi (dont il nous donne plusieurs pages !).
La Vie mode d'emploi : avec ces centaines d'histoires enchevêtrées, Perec propose-t-il un guide à l'égaré, un mode d'emploi qui l'aiderait à trouver « la vie bonne » ?
Perec n'est pas aussi littéral. Il sait que les notices les plus raisonnables ne sont pas toujours les moins délirantes, et il connaît les indispensables vertus du détour. Néanmoins, La Vie mode d'emploi est bien un livre d'exemples –d'exemples à ne pas suivre, bien sûr…
Avec tendresse, Perec raconte des vies, des destinées –pas toujours aussi rectilignes que ce qu'elles annonçaient-, et, sagement, il laisse à chacun le soin d'en tirer la leçon.
La dernière de toutes, étant peut-être, qu'avant tout, il nous faut des histoires. Et quand nous en manquons, nous en inventons à n'importe quel prix –jusqu'à nos dépens !
Sur les photographies qui le représentent, Georges Perec est toujours souriant ; comme si tout ça était une bonne blague…
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